DEUX EVENEMENTS ARTISTIQUES ET CULTURELS EXCEPTIONNELS

Après une période de silence qui coïncide avec l’été des vacances, nous reprenons notre chemin vers une transition écologique et culturelle.

Deux événements artistiques et culturels exceptionnels viennent de se dérouler sur notre territoire en cette fin du mois d’août :

– l’un, au cœur du Tournugeois à Tournus et aussi à Clessé, le festival « Détours en Tournugeois »,

– l’autre, au-delà de la frontière entre Tournugeois et Mâconnais à Hurigny, le festival « la Manufacture d’Idées. »

Revenons sur chacun de ces deux événements.

DETOURS EN TOURNUGEOIS : LA PUISSANCE DE L’ESPRIT COLLECTIF

Détours en Tournugeois est un festival des Arts de la Rue qui se déroule chaque année à Tournus et dans des villages ruraux à proximité.

Ce festival, organisé depuis treize ans par l’association tournusienne « Le Galpon » regroupe d’un côté des compagnies de spectacle vivant qui présentent leurs créations et de l’autre une multitude de bénévoles grâce auxquels la fête est rendue possible.

Cette année, comme l‘indiquent les organisateurs : « la programmation et la direction technique ont été pensées collégialement, et c’est au sein de quelques dizaines de joyeuses et studieuses réunions qu’ont été concoctées la communication et l’organisation générale de votre festival adoré… À l’image du public du festival, l’équipe bénévole est métissée tant sur le plan des origines, de l’âge que des compétences. C’est une force indéniable qui laisse augurer de belles perspectives d’avenir. »

Il y a dans cette réalisation effectivement une mobilisation exceptionnelle du mouvement associatif local et de plus d’une centaine de bénévoles. Cette mobilisation des énergies locales est exemplaire, elle démontre que la désaffection de l’engagement bénévole qui est constatée aujourd’hui en France (*), n’est pas une fatalité dès lors que l’engagement a un sens très fort, qu’il s’inscrit sur un territoire, qu’il est ciblé dans le temps et qu’il s’appuie sur une multitude de liens à la fois interpersonnels et inter-associatifs.

Le Galpon a fait de cette alchimie son image de marque, très caractéristique de ce que Tournugeois Vivant a appelé « la richesse culturelle du Tournugeois ».

Plus que des mots, les images parlent de cette osmose commune ; les regards, les sourires, les applaudissements, les impressions partagées entre les participants, le lien privilégié qui s’établit entre les artistes et le public.

Point très important pour le Galpon, l’accès aux spectacles est libre, chacun peut participer « au chapeau », en fonction de ses moyens.

Ci-dessous le spectacle de la compagnie Super super « Plouf et replouf », au coeur de la ville, sur une place, espace public, accessible à tous. Photo JSL Florent Müller

Radio Kaizman, orchestre tournusien créé il y a dix ans, connu aujourd’hui dans la France entière, ici au coeur de son public, au Pas Fleury sur le stade de Tournus.  Photo G.M.


Les stands des bénévoles et celui de l’Embarqu’ où chacun peut trouver nourriture à son goût. Photo G.M.

Ci-dessous le spectacle de cirque extraordinaire de Galapiat, la Brise de la Pastille. Le public en a pris plein les yeux ! Photo G.M.

« Un clown acrobate au mât chinois et aux questions existentielles. Un musicien à l’univers sonore bien trempé. Des paroles en l’air qui questionneraient la vie sur Terre. Accompagné par un musicien aux pieds sur terre, un clown tendre et rock’n roll s’envoie en l’air, prend de la hauteur et recherche désespérément. Effrayé par le brouhaha du monde, il essaie, là-haut, de mettre un pied devant l’autre. Mais attention, comme l’archet sur les cordes, parfois ça crisse, ça grince et ça explose. »

Dimanche, c’était au tour de Clessé, village de presque 900 habitants, d’accueillir le festival.

Parmi les spectacles proposés, deux étaient présentés par des compagnies du Tournugeois.

– Le premier proposé par la compagnie « Amphigouri », s’intitule « La Ballade des Pouilleux » écrit d’après « The Beggar’s Opera » de John Gay, qui date de 1728, et « L’Opéra de Quat’sous » (Die Dreigroschenoper) de Bertolt Brecht et Kurt Weill, créé en 1928.

Dans la « Ballade des Pouilleux », le conteur-chanteur, merveilleusement incarné par Julien Picard, nous emmène en chansons dans le Londres du XVIIIe siècle, parmi les voleurs et les mendiants. « Un récit trépidant et drôle, de ruse, d’amour et de trahison au son de chansons des rues de toute l’Europe ». Mise en scène de Nathacha Picard.

– Le second spectacle musical, intitulé « Ma Louve », présenté à Clessé, est une création de la Compagnie « Juste avant l’Oubli » basée à Ozenay, un village situé à proximité de Tournus. « Récital et digressions pour une comédienne et un musicien. Leur répertoire chante l’amour, en nous laissant à voir et à entendre leurs réflexions et leurs pensées. C’est une femme amoureuse au langage désarmant et drôle, et qui déteste l’avarice sentimentale. Il est son homme, sa muse, son musicien. Ils nous invitent dans leur récital fou, à faire sonner les sentiments et crépiter le palpitant… Oser l’insolence de dire l’amour, plonger au cœur des ardeurs, se rassembler, rire et s’en aller », avec Amélie Vénisse et Quentin Marotine.

Mais à Clessé, ce dimanche, on pouvait aussi apprécier au fil d’une déambulation dans le village le danseur Patrice de Bénédetti dans deux spectacles chargés d’émotion, les rythmes endiablés de la formation tournusienne « Rue des Granges », la musique pianistique du collectif « Pourquoi pas », les chansons d’Erwan Pinard et les interpellations chaleureuses du crieur Gérald Rigaud.

Détours en Tournugeois : une dynamique, une qualité artistique, un enthousiasme collectif bien ancrés dans le territoire !

LA MANUFACTURE D’IDÉES : « ECOLOGIES DE L’ATTENTION »

L’autre événement exceptionnel qui a retenu toute notre attention et qui s’est tenu du 23 au 27 août s’est déroulé dans le cadre magnifique du château d’Hurigny, il s’agit de la Manufacture d’Idées (et non des Idées! Attention!).

Comme elle le fait depuis douze ans maintenant, l’équipe des organisateurs pilotée par Emmanuel Favre a réuni pendant 5 jours un grand nombre de chercheurs, d’artistes, d’écrivains, de philosophes sur le thème de « L’ATTENTION ».

Comme point de départ, des phénomènes que nous pouvons tous observer : les effets du changement climatique, les extinctions massives dont la liste grossit chaque jour, les vacillements démocratiques et les crises sociales et politiques que traversent nos sociétés, qui révèlent la fragilité de l’écosystème Terre et de l’organisation humaine du monde.

Question posée : face à ces multiples défis, il s’agit non seulement de nous demander à quoi nous devons faire attention, mais ce que nous pouvons faire de notre attention ?

Pour tenter d’apporter des éléments de réponse à cette question, plusieurs intervenants renommés ont participé à ces journées. Parmi ceux-ci : Jean-Chritophe Bailly, écrivain; Benoît Bonnemaison-Fitte, dit Bonnefrite, peintre; Dipesh Chakrabarty, professeur d’histoire à l’université de Chicago; Nicola Delon, architecte; Vinciane Despret, philosophe et psychologue de l’université de Liège; Mohamed El Khatib, réalisateur; Donna Haraway, philosophe et biologiste américaine de renommée mondiale; Faustin Linyekula, danseur, chorégraphe et metteur en scène en République Démocratique du Congo; Baptiste Morizot, écrivain et philosophe auteur de nombreux livres; Isabelle Stengers, philosophe des Sciences; Peter Szendy, philosophe et musicologue; Fabrizio Terranova, cinéaste et dramaturge, Bénédicte Zitouni, sociologue, université Saint-Louis de Bruxelles…

La qualité des intervenants était bien sûr au rendez-vous comme chaque année, et c’est une véritable occasion pour le public de situer les axes de la recherche contemporaine et de s’approprier les questionnements des chercheurs et des artistes sur notre monde, de plus en plus complexe et de plus en plus problématique quant à ses perspectives. La richesse et la diversité des thèmes abordés par les intervenants fait que chacun peut trouver chaussure à son pied et la librairie de la Manufacture est là pour apporter des réflexions approfondies.

Tournugeois Vivant salue cette initiative bien ancrée dans le territoire, qui permet des échanges particulièrement interessants, entre chercheurs et artistes, mais aussi entre intervenants et public fidèle.

Ci-dessus : Faustin Linyekula. Photo G.M. – Dans sa dernière création, My body, my Archive (2023), le danseur revisite l’histoire blessée du Congo et fait l’exploration de son corps comme archive sensible des passés de son pays. Pour ce nouveau spectacle, il parcourt vingt ans de création, attentif à ce qui n’est pas là : les femmes, absentes des mémoires comme des récits de son clan. Il les convoque sous forme de statues de bois réalisées par Gbaga, sculpteur Lengola.

Ci-dessus, l’intervention de Dipesh Chakrabarty, dédiée à Bruno Latour. Photo G.M.            Idées : « Nous ne vivons pas pas simplement dans un ère globale, mais au bord du global et de ce qu’on peut appeler le « planétaire ». En pensant aux derniers siècles de passés humains et aux futurs humains encore à venir, il nous faut nous orienter vers ce que nous avons appris à appeler le globe mais aussi vers une nouvelle entité historico-philosophique qui s’appelle la planète. » « Les êtres humains, avec leurs chiffres, sont devenus une force géologique qui impacte très fortement la planète. » L »humanité est une forme mineure de vie. Aujourd’hui, on quitte l’ère globale pour l’ère de la planète ». En finir avec une histoire humano-centriste.


Photo ci-dessus : présentation de Mohamed El Khatib. Photo G.M.-                                            Idées : création d’un centre d’art multidisciplinaire dans un EHPAD « Les Blés d’Or ». Le motif poursuivi par les artistes et les personnels soignants est de modifier le regard que l’on porte sur les établissements de fin de vie ; tout en réinventant les limites et la définition d’un espace artistique selon un modèle de création partagé qui met en dialogue résidents, artistes et soignants. Introduire le point de vue du désir dans les EHPAD. Abattre les frontières entre médical et artistique. Comment inscrire un rapport quotidien à l’art dans ce type d’établissement ? L’art et la culture hors les murs traditionnels. Les artistes invités ont en commun de développer une recherche qui met la rencontre avec les résidents au cœur de leur pratique en incluant leur vie à chaque projet et sous différentes formes : textes, vidéos, photographies, dessins, collages, performances.

Photo ci-dessous : Vinciane Despret –  Idées : Les Nouveaux commanditaires : le Protocole des Nouveaux commanditaires définit les rôles et les responsabilités d’acteurs qui mènent ensemble une action dont la finalité est l’émergence d’œuvres d’art, en tout domaine de création.  –   Il propose à toute personne de la société civile qui le souhaite, sans exclusive et en n’importe quel lieu, seule ou associée à  d’autres, les moyens d’assumer la responsabilité d’une commande d’œuvre à un artiste. En tant que commanditaire, il lui appartient dès lors de comprendre et de dire une raison d’être de l’art et d’un investissement de la collectivité dans la création. Les citoyens comme puissance agissante au coeur de l’oeuvre.

Dialogue sur l’écologie des images entre Jean-Christophe Bailly et Peter Szendy. Photo G.M. Idées : les images, peintures, photos, extraits de films, se réfèrent à des temporalités divergentes. Il suffit d’observer pour les découvrir. L’image naît d’un contact entre un regardeur et un regardant. Elle est une césure dans le cours du temps. Ce faisant, elle propose à notre regard une expérience que nous ne pouvons pas réaliser nous-mêmes. L’image, oeuvre d’art est une main sur l’épaule. « Arrête-toi. » Les images peuvent aussi être pleines de tensions contradictoires…

« Détours en Tournugeois », « la Manufacture des idées », deux manifestations artistiques et culturelles exceptionnelles, certes très différentes dans leurs objectifs, mais finalement très liées par les engagements qu’elles suscitent et par les frottements qu’elles génèrent dans notre quotidien, générateurs de prise de recul, de régénération et de plaisir du partage. Deux bateaux sur une trajectoire porteuse d’avenir. Quelle chance avons-nous de vivre ces aventures du coeur et de l’esprit à domicile ou quasiment !

G.M.

(*) Cofac, bénévolat de proximité le grand épuisement.

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